mardi 7 février 2012

Toutes les cultures ne se valent pas

Interview croisée : Le Monde - Lundi 6 février 2012



Né à Tunis en 1946, Abdelwahab Meddeb enseigne la littérature comparée à l'université Paris-X-Nanterre. Il a notamment publié aux éditions du Seuil, La maladie de l'islam (2002), Sortir de la malédiction. L'islam entre civilisation et barbarie (2008), Pari de civilisation (2009). En 2011, il a publié Printemps de Tunis aux éditions Albin Michel.

Comment avez-vous reçu les propos de Claude Guéant affirmant que "toutes les cultures ne se valent pas" et qu'"il y a des civilisations que nous préférons" ?

Abdelwahab Meddeb : Comment croire encore à l'inégalité des cultures quand on sait ce que l'ethnologie, l'anthropologie, la linguistique, la biologie ont apporté ? L'affirmer révèle soit l'ignorance soit le cynisme politique. C'est ce que fait M. Guéant en période électorale : gageons que ses propos relèvent de la seconde hypothèse.

Le Cordelier : Oui, les valeurs portées par différentes cultures ne sont pas identiques et ne véhiculent pas les mêmes conceptions de société. L'émergence de la démocratie selon ses paramètres modernes est un fait hélas rare qu'il convient de ne pas mettre au même niveau d'autres structures civilisationnelles surtout lorsqu’elles promeuvent la discrimination allant jusqu'au massacre.
Cela ne préjuge rien d'un quelconque degré de civilisation des populations et d'un jugement de valeur de l'individu dont il faut absolument se démarquer.
Il est question d'un corpus d'usages et de règles, pas de personnes.

Historiquement citons un exemple édifiant: La civilisation Aztèque et avant eux les Mayas, se démarquaient des autres civilisations de leur époque en plaçant le sacrifice humain au cœur de leur organisation, en pratiquant des massacres de masse de plusieurs milliers de personnes. Les Mayas on vu leur civilisation s'effondrer avant même l'arrivée des Espagnols, les Aztèques ne durèrent guère après leur arrivée. Le film de Mel Gibson Apocalypto mettant en scène ces horreurs de la civilisation Maya bien que reposant sur une approche historique rigoureuse a suscité un tollé. La pensée politiquement correcte ne supporte pas la critique d'une civilisation non occidentale et les attaques ad personem envers le cinéaste certes controversé n'eurent jamais aucun argumentaire solide contre le fond du film. Le journal de France 2 du 18 décembre 2006 décrit les Mayas comme "un peuple raffiné qui connait les mathématiques, l'écriture et l'astronomie alors que Mel Gibson les présente comme des sauvages". La civilisation est elle une capacité à valoriser l'individu ou une ingéniosité à faire des calculs ?


Quelle culture, civilisation ou communauté est, selon vous, visée par le ministre de l'intérieur ?

Abdelwahab Meddeb : De fait, ce sont les musulmans et les Arabes qui sont visés. Les stigmatiser comme inférieurs par nature est destiné à flatter le courant raciste du Front national (FN) pour le drainer vers son propre parti. Comment M. Guéant ose-t-il quasi explicitement rejeter ces communautés hors de l'esprit des Lumières au moment même où les peuples auxquels ces communautés appartiennent ont confirmé sur leur propre sol l'universalité du droit naturel ? Ne sont-ils pas les premiers aujourd'hui capables de mourir pour la liberté, l'égalité, la dignité ? Que le mouvement révolutionnaire arabe qui occupe depuis plus d'un an la scène de l'actualité ait été dévoyé par de vieux démons n'illustre que la dialectique de l'Histoire.

Le Cordelier : Ce propos a une portée universelle, il ne vise spécifiquement aucune culture.
Le nivellement de l'analyse des civilisation amène à accepter de la même manière une société institutionalisant les massacres et discriminations face à une société visant à préserver l'intégrité physique et morale des personnes considérées en tant qu'individus.
De manière fort édifiante c'est du coté de l'islam et pas des Mexicains qu'on se sent visé.
La problématique de l'islam n'est pas comme on peut l'entendre le seul fait d'extrémistes islamistes.
La société musulmane est sous tendue par des valeurs telles que l'impossibilité de choisir sa religion avec l'interdiction pour le musulman de quitter l'islam ou la discrimination faite au femmes par exemple en terme d'héritage ne leur accordant que la moitié de l'héritier male. Les récentes révolutions arabes en amenant l'islamisme sous la lumière éclaire justement sur les turpitudes de cette civilisation qui rivalisa jadis avec l'occident mais qui est enlisée depuis le milieu du moyen age dans une impasse sociétale qui l'empêche d'évoluer et dont la cause est profondément structurelle.

Selon vous le "fanatisme fut la maladie du catholicisme", le nazisme celle de l'Allemagne, et "l'intégrisme est la maladie de l'islam". Est-il donc permis de soumettre les civilisations au droit d'inventaire ?

Abdelwahab Meddeb : Toute culture a à conjurer ses vieux démons tant elle bascule entre civilisation et barbarie. Si la barbarie de l'islam est l'islamisme, la barbarie de la culture à laquelle appartient M. Guéant reste le racisme. L'un et l'autre sont exclusivistes, niant l'altérité et s'estimant par nature supérieures. Faut-il rappeler les ravages que la culture occidentale a produits à travers le colonialisme et le nazisme, ces deux formes de racisme qui se sont exprimées par la violence meurtrière ? Ces barbaries n'ont pu être contenues malgré la très haute civilisation que le même Occident a donnée à l'humanité.

Le Cordelier : Mettre sur le même plan nazisme et colonisation relève de l'ignominie.
Le nazisme a une visée exterminationiste alors que n'en déplaise à Mr Meddeb la colonisation à mis un terme à la pratique de l'esclavage organisé au Maghreb et dont Européens et Africains étaient les victimes.
Le catholicisme a aboutit à la reconnaissance des Protestants avec l'Edit de Nantes et des Juifs avec le concordat Napoléonien là ou l'islam ne faisait que tolérer les autres religions qui sinon avilies étaient et sont toujours mises systématiquement en infériorité.
La laïcité comme garantie de tolérance ne pose d'ailleurs aucun problème au catholicisme alors qu'elle irrite fortement l'islam.

Abdelwahab Meddeb : Ainsi les propos de M. Guéant ne correspondent pas à l'apport civilisateur de sa propre culture. Ils confirment plutôt la propension à la barbarie qui loge en elle. Je suggère à M. Guéant de lire Le Fou d'Elsa (1963) ; il y verra son compatriote Louis Aragon traverser la "forêt d'islam" où s'entend la rumeur de la confrontation entre civilisation et barbarie au sein de cette culture. Cette œuvre est un don de civilisation qu'un Français offre au peuple algérien en train de recouvrir sa souveraineté ; elle lui permet d'être reconnu dans sa dignité humaine après avoir souffert pendant 130 ans du déni et de la barbarie raciste qui ont décrété sa culture inférieure au point d'en associer les sujets à une espèce de sous-humanité.

Le Cordelier : Aragon poête communiste complaisant à l'égard de la barbarie stalinienne est un bien mauvais avocat de la civilisation.
En fait de souveraineté le peuple Algérien subit depuis l'indépendance la dictature du FLN parti unique. Les Français ont créé l'Algérie à partir d'une dépendance turque vivant du trafic d'êtres humains, ont les premiers étudié l'histoire du territoire et des autochtones, libérés les juifs de leur statut misérable auquel l'islam les réduisait. Le nationaliste Algérien Ferraht Abbas était même docteur en médecine de la faculté Française d'Alger, comment peut on sérieusement parler de sous humanité.


Propos recueillis dans Le Monde par Nicolas Truong
Article paru dans l'édition du 07.02.12